20/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La course d'obstacles

01/03/1996
Yeh Ming-yuan Des soutes à bagages pleines, mais à quel prix? Sans la permission de survoler la Chine continentale, l'exploitation de vols commerciaux entre Taiwan et l'Europe est considérée comme peu rentable.

Lorsque les hauts fonctionnaires de de Chine parlent de trans­former Taiwan en un centre d'activité économiques pour la région Asie­-Pacifique (Asia-Pacific Regional Operations Center en anglais, ou APROC), leurs discours ne laissent pas place au doute quant à la capacité de l'île à atteindre ses objectifs. Au mois d'août de l'année dernière, faisant référence au projet de train à grande vitesse destiné à relier le Nord au Sud, le président de , M. Lee Teng-hui, a promis de mettre fin à la corruption qui a entaché le projet encore inachevé du métro de Taipei. Par ailleurs, au cours d'une intervention à de commerce européenne (ECCT), en août également, le ministre du Transport et des Communications, M. Liu Chao­-Shiuan, a fait porter l'accent sur la détermination du gouvernement à faire une réalité d'un projet concernant la création d'une zone de transbordement hors contraintes douanières dans le périmètre du port de Kaohsiung. La municipalité de Kaohsiung, de son côté, a récemment rendu public un projet de développement prévoyant l'extension des infrastructures portuaires et aéroportuaires, ainsi que la construction d'un complexe hôtelier et d'un centre de commerce international. Ces réalisations feraient de Kaohsiung la pièce maîtresse de l'APROC.

Les représentants du secteur industriel ont en général une opinion positive des éléments sur lesquels se fondent les ambitions économiques régionales de Taiwan. « Les représentants de tous les partis politiques reconnaissent que l'internationalisation est la voie du progrès », dit un cadre dirigeant d'une compagnie américaine de messageries maritimes, qui souligne que Taiwan, comme Hongkong, se trouve de façon stratégique sur le palier de continentale et dans le voisinage de l'Asie de l'Est et du Sud-Est. Cette posi­tion, qui a contribué au succès économique de Hongkong, devrait également contribuer à celui de Taiwan. « Les infrastructures existantes constituent une base solide pour les développements envisagés », continue ce cadre exécutif. « Mais il y a un besoin et une demande en ce qui concerne l'expansion des installations portuaires, aéroportuaires et de transport existantes, et d'ailleurs les terrains nécessaires à cette expansion sont disponibles. »

Warren Gerig, qui est directeur général de United Airlines à Taiwan et co-président du comité des transports de de commerce américaine (AmCham), affirme que « le dévelop­pement des infrastructures dans le cadre des exigences de l'APROC est avant tout une question de "hardware" et de "software". Le hardware existant est une très bonne base de départ. »

L'opinion largement répandue dans les communautés d'affaires locales et étrangères est que Taiwan a le potentiel nécessaire pour concrétiser ses ambitions, mais qu'il n'est pas certain que l'île parvienne à surmonter tous les obstacles pour tirer le maximum de ce potentiel. Commentant les problèmes auxquels est confronté son propre secteur d'activité, un cadre exécutif d'une société de fret aérien remarque : « Regardez au-delà de la politique économique et de la réglementation et considérez le développement des infrastruc­tures dans le domaine des communications, avec par exemple le projet de ligne Nord­-Sud de chemin de fer à grande vitesse, l'expansion de l'aéroport Chiang Kai-shek international, et la modernisation des ser­vices et des installations portuaires et aéroportuaires de Kaohsiung. S'il s'agissait simplement d'obstacles physiques, ils pourraient être surmontés facilement avec de la détermination et beaucoup de travail. Toutefois, dans chaque cas, vous avez non seulement à surmonter des obstacles physiques, mais aussi à prendre en compte les intérêts en jeu. Cela est particulièrement évident dans le cas de l'acquisition de ter­rains et de la réforme des lois syndicales. »

Une inquiétude à propos des projets de développement des infra­structures partagée par M. Gerig. « Les aéroports internationaux CKS [de Taipei] et de Kaohsiung font en ce moment tous deux l'objet d'une expansion fort nécessaire, mais le gouvernement devra faire l'acquisition de plus de terrains qu'il n'en dispose actuellement à cette fin », dit-il. « Nous attendons de voir comment ils vont procéder. L'acquisition de terrains posera également des problèmes dans le cas de la ligne de train à grande vitesse reliant le Nord au Sud de l'île. Taiwan a grand besoin d'une liaison de chemin de fer pour le transport des marchandises entre les aéroports internationaux CKS et de Kaohsiung et le port de Keelung. Pour l'instant, les conteneurs sont déplacés d'un bout à l'autre de l'île par camion, ce qui non seulement n'est pas très efficace, mais aussi cause des dommages à l'environnement, entraîne des embouteillages sur les routes et engendre des risques importants. »

Ces temps derniers, les problèmes rencontrés par le port de Kaohsiung ont été largement couverts par la presse locale. Celle-ci s'est en particulier fait l'écho de critiques concernant le désaccord entre la municipalité de Kaohsiung et le gouvernement de de Taiwan à propos de la répartition des revenus du port, ou encore de la piètre gestion par le Bureau du port de Kaohsiung des installations et des services portuaires. Lors de son intervention à de commerce européenne, le ministre Liu a déclaré à propos de la gestion et des activités économiques du port de Kaohsiung que « deux problèmes se posent. Tout d'abord, le port est géré par le Bureau du port de Kaohsiung, qui est inefficace, passif et conservateur. Deuxièmement, le port est au cœur d'un environnement politique complexe. Les deux autorités locales [la municipalité et le gouvernement provincial] sont en conflit sur ce point. C’est la raison principale pour laquelle le port ne peut ni être géré ni fonctionner plus efficacement. » Dans ces conditions, il se pourrait donc que les obstacles physiques au projet de l'APROC soient plus faciles à surmonter que les obstacles humains.

En ce qui concerne les sociétés de messageries maritimes et aériennes, c'est la réglementation douanière qui constitue le principal obstacle. « La réglementation et les procédures douanières en vigueur aujourd'hui à Taiwan remontent pour la plupart à la fin des années 40 ou au début des années 50 », souligne un cadre exécutif d'une société de fret. « Les procédures sont restées de type plutôt militaire et démontrent le manque de confiance des autorités envers les transporteurs et les transitaires. Aussi les délais supplémentaires causés par l'appareil douanier existant constituent-ils une entrave majeure à la transformation de Taiwan en carrefour des routes aériennes et maritimes de l'Asie. »

Ku Chin-tang. De nombreux transporteurs se plaignent de la mauvaise qualité et du prix élevé des services portuaires offerts par Kaohsiung. Le puissant Syndicat des dockers est l'un des principaux obstacles au changement.

Les demandes formulées dans le cadre de la réforme de la réglementation couvrent une grande variété d'aspects. « La communauté des affaires voudrait voir traitées de nombreuses questions réglementaires », dit John Weston, le co­président du comité des affaires de l'AmCham. « Ces questions concernent les procédures de douane, les créations de société, les permis de travail et les visas, pour n'en citer que quelques-unes. » Ces questions réglementaires sont consi­dérées comme des « macro-questions » dans la mesure où elles touchent l'ensemble des secteurs économiques englobés par l'APROC. « Les délais posent problème », dit Robin Winkler, un avocat américain qui travaille comme consul­tant dans le secteur des télécom­munications et des médias. « Les textes de loi et règlements existants sont souvent confus et apparemment contradictoires. Le travail de réforme et de mise en application de la réglementation est lent. Cela est particulièrement visible lorsque l'on com­pare Taiwan à ses concurrents dans la région. Par exemple, la création d'une société prend, à Taiwan, un minimum d’un mois et demi, contre un ou deux jours à Hongkong et à Singapour. Les contretemps actuels proviennent largement de l'implication d'un trop grand nombre d'administrations. »

Cet avis est partagé par un cadre de direction d'une société européenne de fret aérien. « Taiwan est sérieusement sur-réglementée et cela constitue un obsta­cle au développement du pays », dit celui­-ci. « Nous ne recommandons pas l'adoption d'un système laxiste, mais plutôt l'adoption d'une réglementation plus simple et plus judicieuse. »

Au moment de la mise en œuvre de la réforme, cependant, le plus difficile est parfois de savoir par où commencer. « Je reconnais qu'il y a des questions particulières à résoudre dans chaque secteur économique », dit M. Weston. « La résolution de ces questions dépend souvent de plusieurs entités administratives ou privées. A mon avis, il serait plus logique dans un avenir immédiat de régler les ques­tions ─ par exemple à propos des visas et des permis de travail ─ qui touchent tous les secteurs de l'APROC et qui requièrent simplement une intervention du sommet de l'administration. Nous ne demandons pas une réglementation moins sévère, nous voulons simplement des règlements clairs et rationnels. »

Les obstacles à l'APROC ne sont pas seulement internes à Taiwan. Il est indéniable que le succès du projet de centre de transit des marchandises pour la région Asie-Pacifique dépend en partie de continentale. Cela vient en partie du fait que le continent est un élément essentiel du projet, politiquement et économiquement parlant, et que le commerce et les investissements de Taiwan dans la région sont pour une grande part liés au continent.

Chi Schive, le vice-président de la commission d'Etat de et du Développement économiques (CEPD) au Yuan exécutif, voit ce lien avec continentale comme un élément positif. « Les liens économiques entre Taiwan et le continent permettent d'étayer les fondations de la coopération car ils sont profitables aux deux parties », dit M. Chi. « Bien sûr, les investissements sont risqués, mais les deux côtés courent les mêmes risques. Je pense que l'augmentation des liens économiques peut nous fournir une sorte d'assurance. »

Quoi qu'il en soit, le continent peut utiliser ces liens pour exprimer son mécontentement à propos d'événements ayant trait à Taiwan. Au mois de mai de l'année dernière, par exemple, le ministère du Transport et des Commu­nications (MOTC) a inauguré un projet permettant aux sociétés de messageries maritimes locales et étrangères de relier directement Kaohsiung et plusieurs ports de Chine continentale. Toutefois, à la suite du récent refroidissement des relations entre les deux rives, les autorités portuaires continentales ont refusé de délivrer les permis nécessaires à l'ouverture de ces routes maritimes. Le projet de liaisons maritimes directes entre les deux rives est donc resté en suspens.

« continentale est un atout essentiel pour le projet, c'est vrai », dit cet Américain, cadre exécutif d'une société de transport maritime. « Mais il y a trop à gagner dans l'intensification des échanges commerciaux et des affaires avec les autres pays du Sud-Est asiatique. Une répartition plus équilibrée du commerce et des investissements taiwanais entre les pays de l'ASEAN permettrait certainement de réduire le poids de continentale dans l'économie de Taiwan. Bien que l'APROC concerne essentiellement les affaires et le commerce, il pourrait permettre d'instaurer une sorte de partie de football politique dans les relations entre les deux rives. »

Ku Chin-tang. Warren Gerig, directeur général de United Airlines (Taiwan) : « Le "hardware" existant est une très bonne base de départ. »

Conscient des complications potentielles qui pourraient découler d'une dépendance excessive envers le marché continental, le gouvernement de de Chine continue de promouvoir ce qu'il appelle « Go-South Policy » pour encourager les hommes d'affaires de Taiwan à privilégier les pays du Sud-Est asiatique. Lors d'une conférence au début du mois d'août, l'année dernière, Jeffrey Koo, le président de l'Association nationale des industries et du commerce de de Chine, a apporté son soutien à cette politique économique en conseillant aux hommes d'affaires de Taiwan de diriger leurs investissements et leurs activités en dehors de continentale, vers les pays de l'Asie du Sud-Est, de l'Amérique latine et de l'Europe de l'Est.

« Je pense que la répartition des activités économiques dans le Sud-Est asiatique est en effet une réponse prudente au dilemme politique actuel entre les deux rives », acquiesce John Weston. « Tou­tefois, il faudra résoudre les récentes controverses entre Taiwan et le continent, comme les différends à propos du niveau de représentation auquel Taiwan a droit dans les organisations politiques et commerciales internationales, avant que l'APROC ne puisse devenir réalité. »

Une opinion largement partagée dans le secteur du fret aérien, parmi les Européens en particulier. « Pour les compagnies européennes de fret aérien installées à Taiwan, l'impossibilité de gérer des lignes aériennes directes avec l'Europe en survolant continentale est une considération d'importance », fait remarquer un observateur économique. « Le fait de ne pas avoir l'autorisation de traverser l'espace aérien de en quittant Taiwan augmente d'au moins trois heures la durée du trajet vers l'Europe, et cela veut dire qu'il faut transporter plus de kérosène. Plus de kérosène veut dire moins de charge utile, ce qui rend la ligne moins rentable. Cela pose moins de problèmes pour les sociétés nord-américaines. Néanmoins, si Taiwan veut devenir un centre de transit pour le fret aérien, elle doit également pren­dre en compte les besoins des sociétés européennes. »

Si les hommes d'affaires étrangers expriment leurs inquiétudes et leurs cri­tiques à propos de la situation actuelle à Taiwan, ils sont cependant prompts à faire des suggestions. Le gouvernement de de Chine, pour sa part, se montre désireux de coopérer avec les communautés d'affaires locale et étrangère au bénéfice de l'APROC.

Lors de réunions avec les autorités locales, les représentants de l'AmCham ont de leur côté identifié un certain nombre de priorités pour l'amélioration des infrastructures et du cadre réglementaire de l'île. L'année passée, l'AmCham a présenté de nombreuses propositions au gouvernement, dit Warren Gerig. Elle a par exemple fait des suggestions en ce qui concerne, d'une part, la modernisation des instal­lations et des services dans les principaux ports et aéroports de Taiwan, et d'autre part, l'amélioration des réseaux de communications (construc­tion d'un train à grande vitesse reliant le nord au sud), et la réforme des procédures douanières (simplification des règlements et ouverture des serv­ices de douane 24 heures sur 24). « Les dossiers préparés par l'AmCham sont une façon pour nous de travailler avec le gouvernement de de Chine pour faire en sorte que Taiwan poursuive son internationalisation économique », dit Mme Lynn Murray-Sien, directeur exécutif de l'AmCham. « C'est également un moyen pour nous de soutenir l'entrée de Taiwan à l'OMC [Organisation mondiale du commerce] et la reconnaissance de son statut de membre de la communauté internationale. »

John Weston se déclare optimiste quant à la qualité des relations de tra­vail entre le gouvernement et la communauté des affaires. « Il faut reconnaître au gouvernement qu'il s'est montré réceptif aux idées et aux suggestions présentées par la communauté d'affaires étrangères », déclare-t-il. « Je ne pense pas que cela aurait été le cas dans des endroits comme Singapour ou Shanghai. »

Exprimant une opinion commu­nément répandue parmi les repré­sentants européens et américains de son secteur d'activité, un cadre européen d'une société de fret aérien déclare pour sa part que : « le gouvernement de de Chine a le pouvoir de faire du projet de l'APROC une réalité, bien qu'il puisse s'avérer nécessaire de marcher sur les plate-bandes de certains et de se faire des ennemis. La réalisation du projet est clairement dans l'intérêt du pays, un détail à ne pas oublier en cette période électorale. »

La onzième place obtenue récemment dans un classement mondial de la compétitivité réalisé par le Forum économique mondial et l'école de com­merce de l'IMD, en Suisse, suggère que le gouvernement a fait du bon travail. « Taiwan travaille dur pour améliorer son environnement économique de diverses façons », dit Robin Winkler. « Tout le monde est d'accord sur ce qui doit être fait au niveau de la réglementation en ce qui concerne les domaines de la finance, des douanes, de la création d'entreprise et des licences d'importation et d'exportation. Dans la communauté d'affaires étrangères, nous sommes, pour la plupart d'entre nous, confiants dans les capacités et le potentiel de Taiwan, mais la question est : jusqu'à quel point et à quelle vitesse Taiwan est-elle prête à s'engager contre ses concurrents régionaux? »

Taiwan n'est en effet pas la seule à nourrir de telles ambitions. « La situation géographique de Taiwan est sans doute excellente », dit un cadre exécutif d'une société de fret américaine, « mais il en est de même pour Shanghai et les Philip­pines. Et bien que celles-ci n'aient pas atteint le même niveau que Taiwan dans le développement de leurs infrastructures, elles ont démontré qu'elles avaient la capacité de se doter très rapidement des installations nécessaires. Elles ont un grand besoin d'investissements et de sociétés venant de l'étranger, et sont de véritables concurrentes pour le titre de l'APROC. »

« Il n'y a pas si longtemps, le directeur de l'aéroport de Shanghai s'est engagé à faire de l'aéroport de Shanghai le carrefour aérien régional de l'Asie d'ici l'an 2000 », rappelle un cadre exécutif d'une société de trans­port européenne implantée à Taipei. « Je crois qu'ils en ont la capacité. Taiwan doit se garder de trop de suffisance. Shanghai est avide d'investissements et de relations d'affaires avec ses voisins. Dans les décennies à venir, elle se révélera un concurrent direct pour Taiwan dans tous les domaines. »

« Autrefois, pour faire des affaires à Singapour, il fallait faire face aux mêmes problèmes de législation qu'aujourd'hui à Taiwan », fait remarquer John Weston. « Néanmoins, Singapour a renforcé sa compétitivité en tant que centre économique régional en harmonisant sa réglementation et ses procédures [avec celles de ses partenaires économiques], en les rendant plus claires, plus concises et plus directes. En d'autres termes, elle les a harmonisées avec les normes internationales. Taiwan doit suivre cet exemple dans tous les domaines, pas seulement dans les domaines entrant dans le cadre de l'APROC. »

Les représentants des com­munautés d'affaires locale et étrangère, ainsi que les autorités, semblent s'accorder pour dire que la mise en place du projet de centre économique régional à Taiwan exigera de la détermination et de la célérité. Leurs commentaires sous-entendent également que le succès de l'entreprise dépendra de la solidité et de la profondeur des liens entre tous les acteurs.

Christopher Fruean

(v.f. Laurence Marcout)

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